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Après le grand rassemblement, un rêve modeste et fou

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Nous étions nombreux rassemblés contre la haine, pour défendre la liberté de penser, la liberté d’exprimer ce qu’on pense. Nous sommes tous fiers de cette levée en masse contre le fanatisme, même si, parfois, cela pouvait ressembler au bal des hypocrites. Pour ne vexer personne ici, j’évoquerai la présence à Paris de grands défenseurs de la liberté d’expression comme le premier ministre hongrois ou le représentant de la Russie de Poutine, sans parler de quelques dictateurs africains.

Un moment de conscience

Malgré ces réserves, je suis sûr que pour vous, comme pour beaucoup, ce rassemblement a été un moment où s’est réveillée la conscience que nous avions plus en commun que nous n’avions de différences. A Questembert, le samedi matin, et encore plus à Vannes, le dimanche, se sont retrouvés des gens de tout âge, de toute condition pour dire : « Nous croyons aux valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité, mais aussi laïcité. »

L’exorcisme du 11 janvier

De parler de laïcité, qui protège pour chacun le droit de pratiquer sa religion et rappelle à tous la loi civile commune, ne m’empêche pas de voir dans nos grands rassemblements une sorte d’exorcisme pour chasser les démons qui hantent notre société : le repli sur soi, le refus de la différence, la haine de l’autre (racisme, communautarisme, etc). Mais qui dira l’efficacité des exorcismes ? Car la quasi unanimité du 11 janvier ne doit pas masquer une réalité qui s’est cristallisée dans les urnes aux élections européennes de 2014 et qui restait souvent sous le voile pudique de listes apolitiques aux municipales. Notre société est traversée de multiples fractures : territoriale, sociale, ethnique, ou encore religieuse. Des fractures qui naissent dans le sentiment profond de l’injustice subie.

Panser les blessures de l’injustice

Pourtant, le grand rassemblement a eu un premier effet – psychologique - pour notre pays : un peu plus de confiance ! Comme si ce pouvait en être fini du french-bashing, de l’autodénigrement. Il serait imaginable, et donc possible, de faire quelque chose ! Et quoi ? Ne croyons pas aux solutions immédiates, ou même rapides, « yaka faukon ». Non, le chantier est immense, il prendra des années : recoudre point à point les déchirures sociales, redonner de l’espoir à ceux qui n’en ont plus, reconstruire de l’unité, sans pour autant nier les différences (la tentation autoritaire est souvent bien proche quand se développent les grands discours d’union nationale, d’union sacrée).

Sans non plus, succomber à l’autre tentation, celle de désigner des boucs émissaires, une autre pratique d’exorcisme ! L’expression renvoie à un rite décrit dans la Bible : les Hébreux chargent de toutes leurs fautes, de tous leurs péchés, l’animal qui est ensuite chassé vers le désert. Mais ce n’est pas qu’un rite dans une religion ou une culture données, les sociétés, les groupes en proie aux difficultés réelles ou imaginaires cherchent la cause ultime de leurs malheurs. Chez nous, les boucs émissaires tout désignés de nos malheurs sont les assistés, les immigrés, les arabes (même s’ils sont turcs ou berbères). Cela se dit au bistrot, cela se diffuse dans certains journaux, cela se répand comme un virus dans les courriels ou sur les pages facebook. Un exemple : ce « document » qui prétend, chiffres à l’appui, qu’une famille au RSA « gagne » plus qu’une autre qui travaille. Facile à démentir, et pourtant, le « document » circule toujours !

Croire au ciel bleu ?

La tâche est immense. Sur le plan pratique, comme sur le plan des idées. Cela prendra du temps, il faut s’armer de patience, et inlassablement, donner à réfléchir, brandir le savoir et l’intelligence contre la bêtise et l’ignorance. Sans trop d’illusion cependant ! Dans un poème intitulé « J’entends, j’entends, » Aragon nous met en garde :

Vous voudriez au ciel bleu croire
Je le connais ce sentiment
J’y crois aussi moi par moments
Comme l’alouette au miroir

Et malgré tout, il nous reste l’espoir, même si c’est « un rêve modeste et fou. » Comme le préconisait le communiste italien Antonio Gramsci, il nous faut « avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. »

Publié le mercredi 21 janvier 2015, par Paul Paboeuf.

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