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Faut-il raccorder le moulin d’Alphonse Daudet en fibre optique ?

l’égalité des territoires ?

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Tout le monde aujourd’hui réclame l’accès au très haut débit, sans se contenter des 2 Mb qui sont un niveau moyen de service ! La Région Bretagne à travers le syndicat Mégalis s’est donné l’objectif d’installer la fibre optique - 100 Mb de débit ! - à tous les foyers bretons d’ici 2030. Le président Macron s’est montré plus ambitieux pendant sa campagne (le très haut débit ou la fibre partout avant la fin de son quinquennat) avant de revenir à plus de réalisme devant la conférence des territoires de juillet 2017 : « Il est impossible de tenir la promesse de tirer la fibre dans tous les logements de la République. Cette promesse est intenable technologiquement et financièrement. » Il s’est engagé cependant à améliorer la desserte de téléphonie mobile pour que tout le monde ait un débit satisfaisant d’ici 2022.

Pas assez vite en Bretagne, la droite essaie de se refaire la cerise

A l’initiative de l’association des maires du Morbihan, le 20 février, le syndicat mixte Megalis a expliqué le déploiement du très haut débit en Bretagne.

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La présentation de M. Malfait, DGS de Mégalis, devant l’asso des maires du Morbihan

Mais cela ne va pas assez vite, surtout pour ceux qui, à d’autres moments, ont freiné des quatre-fers. Pire encore, c’est pas comme ça qu’il fallait faire ! Comme nous l’explique(nt) la « droite et le centre » - une appellation que je trouve inexacte, car si on voit bien la droite, on ne voit guère le centre. À Pontivy, ils avaient invité un gros calibre de la Région Hauts-de-France pour attaquer la majorité du Conseil régional de Bretagne : « surréaliste », a dit ce monsieur. « Trop peu, trop lent, trop cher ». On en lira plus ici.

Le président Loïc Chesnais-Girard a répondu par l’ironie à ce discours un peu démago comme on le voit ici. La droite voulait se refaire la cerise en tablant sur l’impatience des Bretons ; c’est raté. Normal quand on n’est pas sérieux.

A lire ici, le communiqué complet du président Loïc Chesnais-Girard

Habitat dispersé : le coût des services

La querelle met en lumière une difficulté particulière pour les régions où domine l’habitat dispersé, comme la Bretagne : comment assurer, à un coût raisonnable, un service égal à tous les habitants ? Le problème n’est pas neuf. Pour amener l’électricité ou l’eau potable dans les campagnes, il a fallu mobiliser des ressources importantes. L’adduction d’eau a pu être réalisée grâce à un syndicat départemental qui a fait jouer la solidarité, solidarité à laquelle certains ont pu échapper : quand la densité d’habitants de la ville a réduit les coûts de desserte, on a pu garder des services à bon marché, sans se soucier des secteurs ruraux où l’on doit tirer des canalisations sur des kilomètres pour desservir quelques maisons. Exactement le problème évoqué pour la fibre optique : ça coûte moins cher quand l’habitat est très groupé (326 hab/km² pour les départements Nord et Pas-de-Calais, contre 126 en Bretagne.)

Tout cela revient à poser la question de l’égalité des territoires. Certains vont nous dire que l’excellence du développement des métropoles va ruisseler sur les espaces de faible densité, et d’autres vont hurler à l’abandon par les technocrates parisiens de la ruralité. Loin des idées simplistes, le rapport dirigé par l’économiste Eloi Laurent et publié en 2013 donne un regard nuancé sur les disparités, leurs causes et les remèdes possibles. Sur les 534 pages du rapport, on pourra lire avec intérêt le 3ème chapitre de la première partie sur les espaces ruraux et les ruptures territoriales et en particulier les pages consacrées à la question du désenclavement (pages 62 et suiv). Les habitants sont-ils « responsables » dans le choix de vivre en territoire enclavé ? l’efficacité économique dépend-elle complètement du désenclavement ? Comment assurer l’accès des citoyens aux « besoins fondamentaux » ?

Une éthique de la responsabilité suggère d’accorder la priorité aux mesures bénéficiant à l’enfance et aux personnes dépendantes, qui ne sont aucunement responsables de leur localisation résidentielle, puis à cibler ensuite les ménages enclavés dont les choix résidentiels sont les plus contraints (les plus âgés, les moins diplômés, aux revenus les plus modestes, etc.). Une éthique de l’efficacité encourage à désenclaver avant tout les espaces dotés de potentiels touristiques, récréatifs, productifs ou résidentiels, afin que le désenclavement bénéficie à une population plus nombreuse et engendre un développement économique local. Elle suggère d’accorder une attention particulière aux ménages les plus défavorisés (chômeurs, ménages à revenus modestes, etc.), dont le bien‑être peut être augmenté significativement. Une éthique du besoin requiert de cibler les ménages les plus désavantagés en ressources et en accomplissements (santé, éducation, logement, emploi, participation à la vie sociale et associative, capacité à se déplacer, etc.). Elle invite à identifier les accomplissements les plus fondamentaux à l’aide des procédures démocratiques, afin de leur accorder la plus grande priorité. Quelle que soit la valeur mobilisée, les mesures de désenclavement devraient être conditionnées au respect des fonctions écologiques les plus sensibles à l’anthropisation.

Au bout de cette analyse, dont je vous ai donné la conclusion (p.77), nous pouvons donc dire que rien ne nous oblige, rien ne nous autorise même, à raccorder en fibre optique le moulin de M. Daudet : s’il est là, c ‘est qu’il l’a bien voulu (responsabilité), il est tout seul dans son moulin et il n’y produit pas grand chose (efficacité), et il a suffisamment de ressources pour satisfaire tous ses besoins. Nous le ferons quand même, sinon, il serait capable d’écrire, sur son blog du Figaro ou de Médiapart, une nouvelle lettre où il se plaindrait des mauvais traitements infligés par les péquenots que nous sommes.

Et si on reparlait de notre PLU intercommunal ?

Parmi les inquiétudes qui rongent une bonne part de nos élus et beaucoup de propriétaires, il y a l’obligation de densification : réduire les constructions en campagne, regroupe l’habitat dans les centres-bourgs et centres-villes. Ces contraintes, inscrites dans les lois successives (SRU, ALUR, Grenelle) renvoient à la réflexion générale ci-dessus. Quand l’habitat est déjà dispersé – chez nous, c’est un fait historique – la collectivité doit assurer les services à tous : une voie carrossable, l’eau, l’électricité, le transport scolaire, etc... Mais n’est-il pas raisonnable d’éviter d’accroître ce mitage ? Et donc d’éviter des dépenses futures de la collectivité ?

Publié le jeudi 1er mars 2018, par Paul Paboeuf.




Post-scriptum

En prime, un article au vitriol sur le projet « surréaliste » de la fibre pour tous (un peu ancien, mais ça se lit encore.)

https://www.nouvelobs.com/rue89/rue...

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